Que manque-t-il au mot philothérapie?

Les mots ont souvent une grande souplesse dans leur usage et rarement un seul sens. On apprend beaucoup en examinant la vie des mots, de leur apparition dans la langue jusqu'à leur obsolescence. J’ai évoqué à quelques reprises le mot «philothérapie». Il n’est pas encore entré dans le dictionnaire, ni sous sa forme simple, ni comme mot composé («philo-thérapie»)...

Il est vrai que ce n’est pas le dictionnaire qui donne naissance aux mots. Le dictionnaire ne fait que confirmer leur existence en les répertoriant après les avoir repérés, vivants, dans la langue. Mais la simple entrée d’un mot dans la langue ne lui donne pas automatiquement de consécration officielle dans le dictionnaire. Cette consécration, cet acte de naissance dans le dictionnaire, le terme «philothérapie» l’obtiendra peut-être un jour prochain... Essayons entre-temps de tirer au clair ce qui se dessine tout autour – ou ce que le mot lui-même dessine.

Si vous entendez pour la première fois le mot «philothérapie» et que pour en comprendre le sens vous raisonnez à partir de son étymologie, vous hésiterez peut-être – à juste titre – entre «amour du soin», «soigner avec amour» ou «thérapie par l’amour». Le problème dans le mot «philothérapie» est qu’en supprimant la sophia du philein pour lui accoler le suffixe therapeía, on a tout simplement égaré la philosophie! Comment alors vouloir se ranger derrière le mot de «philothérapie» pour promouvoir une approche philosophique, alors que plus rien dans les racines du mot n’y renvoie?

L’utilisation de «philo» en tant que dérivation d’un mot existant est une apocope formée par les premiers phonèmes du mot «philosophie». De nos jours, en français familier, «philo» fait bien référence à la philosophie, mais en sera-t-il de même dans cinquante ans? Si je consacrais ma vie à la philologie, je pourrais légitimement utiliser l’abréviation «philo» pour parler boutique avec mes confrères. Dans mon enthousiasme pour ma discipline, peut-être même composerais-je une chanson appelée à devenir un tube planétaire, et dont le refrain scanderait: «philo, philologie!» Rien n’empêche qu’un jour futur, l’apocope philo ne devienne l’abréviation du mot «philologie»; dès lors, sa charge sémantique principale ne renverra plus vers la philosophie, mais vers la philologie... Et même si ma chanson ne devient pas un tube planétaire, une chose reste inchangée: la racine philo ne cessera pas de renvoyer au grec philein et se traduira toujours par amour ou un mot apparenté. Alors si la philosophie est l’amour de la sagesse, et si la philologie est l’amour des lettres ou de la littérature, pourquoi la philothérapie serait-elle autre chose que l’amour de la thérapie?