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La philosophie guérit-elle?

Lorsque quelqu’un dit: «Je fais une thérapie», on comprend vraisemblablement que cette personne suit une psychothérapie. «Thérapie» vient du grec «therapeia» signifiant soin ou traitement; ainsi, en dehors de thérapies faisant appel à des moyens psychologiques, il existe des thérapies chirurgicales ou médicamenteuses, ou employant des techniques spécifiques dans le but de soigner (eau, massages, etc.). Les thérapies visent donc habituellement à améliorer ou à guérir des maladies somatiques ou des troubles psychologiques...

Le rapprochement entre philosophie et thérapie n’est pas immédiat; et lorsqu’il est fait, il prête à controverse. Si la philosophie revendiquait une capacité à guérir, il faudrait se demander si elle en est capable, et de quoi elle nous guérirait. Et si on la décrète incapable de guérir quoique ce soit, rappelons que même la médecine moderne ne conçoit plus systématiquement la guérison comme finalité: pour un certain nombre de pathologies, elle s’efforce principalement de gérer la chronicité, contenir la dissémination, retarder le handicap, faire reculer la douleur, rétablir les routines et le confort d’un corps apaisé. Et d’ailleurs, la guérison n’est pas le retour à l’état d’avant la maladie: il est impossible de remonter la flèche du temps pour retrouver cet état antérieur. Pour Canguilhem, la guérison est à envisager non pas dans l’obtention de ce que j’étais au passé, mais de ce que je peux être, c’est-à-dire de ce que je peux actualiser de mes potentialités. «Apprendre à guérir, c’est apprendre à se mettre dans la contradiction entre l’espoir d’un jour et l’échec du lendemain sans dire non à l’espoir» (Canguilhem, Écrits sur la médecine)

La philosophie, la pratique philosophique ou la philothérapie ne fournissent ni diagnostic, ni traitement, ni conseils médicaux et sans doute se tromperait-on si l’on voulait administrer des conseils philosophiques en dispensant des comprimés de «philo» pour telle ou telle affection identifiée par la médecine, la psychiatrie ou la psychologie; il n’existe pas de «conseils» spinozistes validés scientifiquement pour traiter les «passions tristes», mais pour autant rien ne nous empêche de philosopher en souffrant d’une angine ou d’une entorse. Alors si on ne peut pas mettre la philosophie dans un compte-gouttes, si on ne peut pas en mesurer la pharmacodynamique, qu’attendre de la pratique philosophique?

La philosophie peut nous apporter des éclaircissements sur notre vie, nous apprendre à vivre peut-être, ou à vivre mieux, que l’on soit malade ou bien portant. Si vivre consiste à faire l’expérience de notre condition humaine et de notre condition d’êtres vivants, l’apprentissage philosophique dérivé de nos expériences consiste à acquérir la connaissance nécessaire pour vivre ces expériences sans nous sentir écrasés par le poids de ce qui échappe à notre compréhension.


La psychologie est-elle mieux équipée pour soigner que la philosophie? Si on est tenté de le croire, c’est probablement parce qu’elle s’est donné les moyens d’étudier son «objet» en mettant ses hypothèses à l’épreuve de manière scientifique. On aurait tendance à croire que la psychologie est plus exacte que la philosophie. Est-ce vrai, ou plutôt, est-ce exact?

Une chose est sûre: la psychologie et la philosophie sont toutes deux des sciences humaines. Certains contestent à l’une ou à l’autre leur statut de science, mais si on leur accorde ce statut on ne dira pas pour autant que ce sont des sciences exactes. Pourtant la psychologie se voudrait plus exacte que la philosophie – et vous remarquez que je ne dis pas «plus précise», car les efforts des philosophes pour étayer les concepts philosophiques sont considérables, mettant parfois en œuvre un treillis argumentatif si serré et si efficace qu’il n’y a pratiquement plus de place pour une réfutation. Bergson, dans l’introduction de La Pensée et le Mouvant, dit qu’«il faut amener la philosophie à une précision plus haute, la mettre à même de résoudre des problèmes plus spéciaux, faire d’elle l’auxiliaire et, s’il est besoin, la réformatrice de la science positive. Plus de grand système qui embrasse tout le possible, et parfois aussi l’impossible! Contentons-nous du réel, matière et esprit. Mais demandons à notre théorie de l’embrasser si étroitement qu’entre elle et lui nulle autre interprétation ne puisse se glisser». Le souhait de Bergson est aujourd’hui largement exaucé et pourtant...

Si l’on calcule, de deux manières différentes, la surface d’une figure géométrique donnée, on obtient exactement le même résultat, tandis que si on effectue deux fois la même expérience psychologique, on aura peut-être deux résultats convergents, pouvant même atteindre un degré de précision permettant de dire qu’ils sont quasi-identiques, mais ces résultats ne seront jamais exactement les mêmes en tous points. On peut placer des sujets dans des groupes d’étude et d’autres sujets dans des groupes contrôles, leur donner à remplir un questionnaire extrêmement calibré puis en tirer des statistiques, ce n’est pas pour autant qu’on aura fait de la psychologie une science exacte: son inépuisable objet d’étude – l’humain, ses perceptions, ses attitudes, ses croyances, ses comportements – génère de la variabilité, de l’imprévisibilité. Tout ce qu’on peut faire, c’est faire en sorte que le processus expérimental soit rigoureusement précis, que la méthode soit «scientifique» en contrôlant au maximum les conditions dans lesquelles on étudie ces phénomènes humains, afin d’espérer obtenir des résultats précis, fiables, et dans une certaine mesure, reproductibles.

On ne peut pas faire de la psychologie une science exacte comme l’est la géométrie, mais on peut faire en sorte qu’elle soit précise... comme l’est la philosophie à travers sa démarche argumentative, déductive, logique.

S’il est absurde de dire que l’une est plus précise que l’autre, en revanche il est exact que, tout en étant toutes deux inexactes, chacune a une façon propre d’interroger et explorer l’humain, et chacune, à sa façon, est capable de le soulager et de l’apaiser.